Watchmen [saison 1]
Si on devait faire un classement des plus grands comics de tous les temps, il y aurait bien évidemment du Batman dedans (The Dark Knight Returns), du Superman (Death of Superman), du Marvel (Civil War), du DC (Crisis on Infinite Earth), bref les cadors de la discipline. Mais il y aurait aussi quelques pépites plus méconnues du grand public comme Watchmen. Publié en 1986, chapeauté par Alan Moore, Watchmen est vite devenu culte. Dur en effet de rester indifférent devant l'excellent scénario de la BD. Très politique, l'œuvre de Moore nous dépeint une uchronie au sein de laquelle les USA gagnent la guerre du Vietnam très facilement et dans laquelle Nixon est réélu sans discontinuité. Pourquoi ? Comment ? Le Dr Manhattan est la réponse. Être omniscient doté de pouvoirs absolument démesurés hérités d'un accident nucléaire, il est presque un dieu parmi les hommes. Arme ultime des USA, il va donc faire pencher la balance et changer l'histoire telle que nous la connaissons. Le récit débute en 1985. La Guerre Froide atteint son paroxysme et la menace d'une guerre nucléaire pouvant causer la fin du monde plane. Le comédien, un ancien super héros ayant raccroché, est assassiné par un mystérieux assaillant. Il faisait partie d'un groupe, un groupe dont le dernier membre encore en activité, Rorschach, décide de mener l'enquête.
Un être quasi divin entouré de super héros qui sont juste des hommes normaux (ou presque) en costumes, une guerre nucléaire qui couve, des meurtres mystérieux... tels sont les ingrédients qui ont tenu les lecteurs en haleine jusqu'à un final grandiose. Watchmen représente tout ce que les comics ont de mieux à offrir. C'est une œuvre engagée, qui propose pleins d'axes de réflexion et de thèmes intéressants. A partir de là, normal qu'il y ait eu d'autre tentatives d'exploiter cet univers captivant. Il y a eu bien sûr d'autres comics mais également l'excellent film de Zack Snyder. Il ne restait finalement plus que le domaine des séries TV à exploiter. Et, excusez du peu, c'est la chaîne HBO (Game of Thrones, Les Sopranos, Oz, Rome) qui s'y est collée avec aux commandes Damon Lindelof, connu pour avoir chapeauté The Leftovers mais surtout la série culte Lost. Inutile de vous dire qu'avant la diffusion du premier épisode, l'attente était élevée... au moins autant que l'appréhension. D'autant plus que Lindelof a décidé de ne pas faire une adaptation des comics mais une histoire originale, se déroulant dans le même univers mais à notre époque.
Vérités masquées
2019, USA, Oklahoma. Dans la ville de Tulsa, tous les policiers patrouillent avec le visage masqué afin de dissimuler leur identité. Trois ans auparavant, un groupe de suprémassistes blancs vouant un culte à Rorschach et répondant au nom de la 7ème Cavalerie s'était attaqué à tous les policiers de la ville et à leur famille jusque dans leurs propres domiciles. Un événement tragique qui portera le nom de nuit blanche. A jamais marquée par cette nuit à laquelle elle a miraculeusement survécu, Angela Abar a décidé de continuer son travail dans les forces de l'ordre. Pour ceux qui la croisent dans la rue, elle prépare l'ouverture d'une boutique de cookies et fait de la cuisine. En vérité, elle enfile sa plaque de flic et le costume de Sœur Nuit pour enquêter incognito sur la 7ème Cavalerie. Alors qu'un policier se fait tuer par un membre dudit groupuscule, le chef de la police, Judd Crawford, aidé par Angela, décide de passer à l'offensive. Tout cela va provoquer une série d'événements qui mèneront Angela jusqu'à de terribles vérités.
Quand on utilise un matériau de base aussi réputé et riche que Watchmen, il ne vaut mieux pas se tromper sous peine de subir la colère des fans. Ce ne sera pas le cas ici, Damon Lindelof peut dormir sur ses deux oreilles tellement il a fait honneur aux comics. Ce Watchmen version série est une remarquable transposition vers notre époque de la façon que la BD avait d'aborder les problèmes de société des années 80. En fond de cette histoire super héroïco-policière, on retrouve des thèmes actuels comme le racisme, le suprémassisme, le progressisme... Watchmen était un comics très politique, cela n’étonnera donc personne que la série le soit également. Reprenant les grandes lignes des comics, elle brode sa propre histoire avec ses propres personnages. Comme dans les pages de Moore, les super héros ne sont ici que des hommes et femmes en costumes. Les figures connues ? Elles sont là, quelque part, elles rodent. Le Dr Manhattan, lassé de l'humanité, s'est retiré sur Mars. Adrian Veidt aka Ozymandias, l'homme le plus intelligent du monde, a mystérieusement disparu sans laisser de traces... et malgré une surprise qui ravira les fans en les gratifiant d'un retour inattendu, jamais ces figures majeures ne viendront parasiter le récit des "simples" hommes et femmes de Tulsa. Watchmen nous dépeint une société à cran, avec une inversion des rôles.
Après des années de racisme, les personnes noires ont enfin droit aux mêmes privilèges que les autres et même à des compensations, ce qui entraîne forcément des tensions. Dans l'Amérique de Trump, la série résonne étrangement, comme un rappel parfois sinistre de ce que pourrait devenir notre société. Mais rassurez-vous, il n'y a pas que de la politique dans Watchmen et l'aspect super héroïque est bien présent même s'il reste ancré dans un réalisme sobre. Ici pas de rayon laser, ni de mecs capés qui volent, mais juste des gens masqués avec des idéaux, ce qui n'empêche pas les scènes d'action d'être vraiment ultra prenantes. Pas de série réussie sans personnages réussis et à ce niveau là, c'est le grand chelem. Regina King crève l'écran et délivre une prestation parfaite en incarnant Angela Abar. Les fans de la série Miami Vice auront la bonne surprise de revoir Don Johnson qui incarne ici le chef de la police. Et comment ne pas citer Jeremy Irons qui livre une prestation grandiose en Ozymandias. Je pourrais vous citer tout le casting mais ce n'est pas la peine, vous avez juste besoin de savoir que, comme souvent chez HBO, c'est du très haut niveau.
Le puzzle parfait
La façon dont les arcs narratifs se recoupent pour former un récit proche d'un puzzle est tout simplement fascinante. Lindelof nous perd, souvent au début, on ne comprend pas tout et même parfois pas grand-chose. Et puis au fur et à mesure des épisodes, les pièces s'assemblent et on se retrouve bouche bée dans son fauteuil. L'intelligence avec laquelle le scénario est découpé, cette façon de ne dévoiler l'image finale qu'une fois toutes les pièces assemblées laissent admiratif. Lindelof joue avec les attentes, les déjouent et en s'inspirant des comics, il arrive à proposer quelque chose d'à la fois ultra fidèle et de très original. Extrêmement narrative, ultra ciselée, la série se savoure tellement vite que l'on hésite à engloutir les 9 épisodes trop rapidement, comme pour une boite d'excellents chocolats qu'on ne voudrait pas terminer en deux soirées. Œuvre tout sauf manichéenne, la série aime égratigner un peu tout le monde. Les suprémassistes bien sûr mais c'est une tâche facile, personne ne viendra vraiment les défendre.
Pour le reste les limites sont plus floues. Si on prend le personnage de Lady Trieu par exemple, présentée comme une femme forte et issue de la diversité, qui veut "aider" l'humanité, on se rend compte qu'au final, Lindelof la traite de la même manière que la 7ème Cavalerie. Présentée comme celle qui veut mettre fin à la domination de l'homme blanc du patriarcat, la façon dont se conclut son histoire est pleine de symboles renvoyant toutes les idéologies dos à dos. Se voir comme meilleur que les autres et vouloir imposer sa vision de force n'est bon pour personne et il faut faire attention à ne pas devenir ce que l'on veut combattre, à ne pas devenir intolérant à son tour. Chaque personnage important de Watchmen amènera avec lui ses bagages emplis de convictions et de contradictions. Personne n'est parfait. Est-ce que les bonnes intentions affichées sont sincères ou purement égoïstes ? A moins que ce ne soit les deux. Autant de questionnements qui cristallisent en partie la lassitude du Dr Manhattan envers l'humanité. Un Dr Manhattan toujours omniscient qui en prend aussi pour son grade. Chaque personnage incarne quelque chose de fort, qui lui est propre, comme un Ozymandias incarnant parfaitement le besoin de démesure et l'égo surdimensionné du mâle blanc. Tout le monde a ses failles et ses obsessions. Dans un domaine où nous sommes habitués aux héros vaillants sans faille et aux méchants caricaturaux, Watchmen est un grand bol d'air frais.
Post publié par Damzé le 18/02/2020 12:33
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